Listes

Lire pour combattre le blues

J’avais envie de lire tous les romans moroses qui me faisaient envie avant la fin de l’hiver et c’est chose faite. Je vous suggère ici trois livres qui, sans enjoliver les choses, nous aident à surmonter le blues. Les textes que je propose décrivent l’expérience de la dépression avec une telle précision que l’on ne peut s’empêcher de s’y retrouver, d’y trouver du réconfort, puis peut-être, éclairés par une compréhension nouvelle, de l’espoir.

Je crois ferme comme fer à la bibliothérapie mais ce qui peut apaiser quelqu’un peut précipiter un autre dans les abîmes du désespoir. Dans ce processus, il est important de rester à l’écoute de ses besoins et de faire les choses selon ses ressentis particuliers. Peut-être qu’un de ces livres sera difficile à lire en ce moment alors qu’il sera libérateur pour vous dans quelques mois, ou dans quelques années. Il n’y a pas d’urgence, nous avons encore toute une vie pour lire tous les livres sur sa liste d’envie. Et ça, plus que tout, ça me remonte le moral.

La cloche de détresse de Sylvia Plath

« C’était un été étrange et étouffant. L’été où ils ont électrocuté les Rosenberg. Je ne savais pas ce que je venais faire à New York. » C’est ainsi que commence La cloche de détresse (The Bell Jar, 1963), l’unique roman de Sylvia Plath. Dans un récit d’inspiration autobiographique, nous suivons la descente aux enfers d’une jeune femme qui rêve d’écrire, à une époque où les femmes étaient peu écoutées et la santé mentale un tabou honteux.

Ce roman a été pour moi une heureuse découverte. J’y ai d’abord rencontré la plume de Sylvia Plath, dans toute sa limpide beauté. Poétesse dans l’âme, Sylvia Plath arrive à sublimer les menus détails du quotidien avec son regard sensible et intelligent. C’est une histoire d’une profonde mélancolie, tout en poésie. J’y ai aussi trouvé beaucoup du réconfort. Notre protagoniste n’est pas complètement terrassée par le blues. De cette tension entre le suprême désespoir et l’indicible beauté, naît quelque chose qui approche la résilience, un rêve d’affranchissement.

J’ai pensé que la plus belle chose au monde devait être l’ombre, les millions de formes mouvantes et de culs-de-sac d’ombres. Il y avait de l’ombre dans les tiroirs et les armoires et les valises, de l’ombre sous les maisons et les arbres et les pierres, de l’ombre derrière les yeux et les sourires, et de l’ombre, à des kilomètres, du côté obscur de la terre, dans la nuit.

Les souffrances du jeune Werther de Goethe

Le jeune n’a pas vécu à l’époque de Roland Barthes, malheureusement. Sinon, il aurait trouvé du réconfort dans les Fragments d’un discours amoureux. Peut-être. Peut-être pas. Car si une histoire d’amour obsessionnel le pousse dans les derniers retranchements du désespoir, on sent dès le début chez Werther une nature, des habitudes de pensée, qui ne peuvent qu’user et affaiblir au contact de la vie et de son adversité. Il a un penchant extrême pour l’absolu et l’idéal. Il ne s’accommode pas des frictions du quotidien et cherche un bonheur parfait, sans mélange. Il est convaincu d’avoir une valeur immense et au même temps, d’être méprisé par son entourage. Ce sont là les ingrédients d’une humeur morose.

Si les malheurs de Werther nous apparaissent irritants par moments, c’est parce qu’ils nous renvoient le reflet de nos propres schémas de désespoir, nous poussent à un réexamen de soi, nécessaire dans tout processus de guérison. L’écriture des Souffrances du jeune Werther (1774) a d’ailleurs été une expérience cathartique pour Goethe, un moyen de se libérer de sa mélancolie et de se régénérer.

La vie humaine est un songe : d’autres l’ont dit avant moi, mais cette idée me suit partout. Quand je considère les bornes étroites dans lesquelles sont circonscrites les facultés de l’homme, son activité et son intelligence ; quand je vois que nous épuisons toutes nos forces à satisfaire des besoins, et que ces besoins ne tendent qu’à prolonger notre misérable existence ; que notre tranquillité sur bien des questions n’est qu’une résignation fondée sur des chimères, semblables à celles des prisonniers qui auraient couvert de peintures variées et de riantes perspectives les murs de leur cachot ; tout cela mon ami, me rend muet. Je rentre en moi-même, et j’y trouve un monde, mais plutôt en pressentiments et en sombres désirs qu’en réalité et en action ; et alors tout s’embrouille en moi, et, perdu dans mes rêves, je poursuis en souriant ma route dans le monde.

De l’inconvénient d’être né de Cioran

Ce recueil d’aphorismes est très drôle. Je m’explique.

Comme son titre le suggère, De l’inconvénient d’être né (1973) est un livre d’une extrême aigreur. Cioran y livre un jugement funeste sur l’existence, sans appel. Mais au bout d’un énième aphorisme sur les chaines de l’existence et la faillite de l’humain, un changement s’opère. Le propos absolutiste devient une caricature de nos êtres déprimés, on se retrouve à rire de soi et de sa manie du désespoir. On trouve dans cette mise à distance une certaine ataraxie. C’est en quelque sorte une catharsis. Sans oublier que même en pestant sur la vie et en prônant le désengagement total, Émile Cioran continue d’écrire et donc d’agir. Avec son style incisif, il nous offre une expérience de la beauté et donc de l’espoir, car l’art sauve. Paradoxe, aveu flagrant de sa capacité au bonheur.

La maxime stoïcienne selon laquelle nous devons nous plier sans murmure aux choses qui ne dépendent pas de nous, ne tient compte que des malheurs extérieurs, qui échappent à notre volonté. Mais ceux qui viennent de nous-mêmes, comment nous en accommoder ? Si nous sommes la source de nos maux, à qui nous en prendre ? A nous-mêmes ? Nous nous arrangeons heureusement pour oublier que nous sommes les vrais coupables, et d’ailleurs l’existence n’est tolérable que si nous renouvelons chaque jour ce mensonge et cet oubli.

Mark Rothko, Green on blue 1956

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2 réflexions au sujet de “Lire pour combattre le blues”

  1. Moi aussi je crois « ferme comme fer à la bibliothérapie »… Mais je ne suis pas sûr que l’ombre et l’aigreur me console, plutôt la lumière et le sourire des fleurs au printemps. Enfin je lirais peut-être un jour ces livres là… Quoique Goethe m’intrigue ! Merci pour ce bel article.

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