Critique de Bonjour tristesse de Françoise Sagan
Notes de lecture

Bonjour tristesse de Françoise Sagan

Bonjour tristesse, c’est le récit d’un drame vacances, fâcheux mais somme toute ordinaire. C’est aussi un roman sur ces étés transformateurs de l’adolescence, faits de passions fuyantes, de colère et de morosité. Réputé froid et cruel, j’y ai trouvé au contraire beaucoup de sensibilité : elle se dévoile par petits éclats, elle éclot entre les failles du discours aigri de la protagoniste sur son petit bout d’existence. Nous sommes loin de l’ambiance de La chamade où des personnages égocentrés s’usent les uns les autres sans remords.

Aux abords de la Côte d’Azur

Dès les premières pages de Bonjour tristesse, Françoise Sagan plante le décor et c’est un principe actif de l’intrigue : le soleil brûlant, le rythme de la mer et la succession des voiliers de la Côte d’Azur. Dans ce paysage, Cécile est plus que jamais portée à la légèreté et à l’insouciance. Elle retrouve un plaisir primaire à enfouir son corps dans le sable et l’eau pour se « laver de toutes les ombres, de toutes les poussières de Paris » et surtout, ne pas réfléchir.

Je me rends compte que j’oublie, que je suis forcée d’oublier le principal : la présence de la mer, son rythme incessant, le soleil.

Critique de Bonjour tristesse de Françoise Sagan
Bonjour tristesse de Françoise – Sagan Savary – Peinture – Gouache – Voiliers 1

Portrait d’une adolescente « têtue et malléable »

Cécile est, à l’image de son père, cynique et insouciante. Attachée à son indépendance, elle a horreur de la stagnation, de tout ce qui pourrait la fixer en un foyer. Avec son ton décomplexé, elle parvient à dire les choses plus sombres avec une infinie légèreté et c’est là ce qui fait tout le plaisir du texte. Censée préparer un examen de philosophie déterminant, elle qui n’aime pas trop réfléchir, elle est prise « entre sottise et grandeur, damnée de ne pas être suffisamment profonde. »

Moi, je suis le jeune être inconscient et sain, plein de gaité et de stupidité.

Au fur et à mesure que l’intrigue avance, l’on se rend compte que l’attitude de Cécile n’est qu’une posture, une vulgaire singerie de Sylvain, son père veuf et désabusé du bonheur amoureux, cumulant les conquêtes dans une fuite frénétique en avant alors même que la vieillesse le guette au tournant. Mais ce désir d’imitation, l’adolescente s’entête à le nier.

L’amour et les affres de l’introspection

Quand Cécile rencontre Cyril, elle se découvre un côté fleur bleue, elle qui se targuait d’être une séductrice effrontée comme son père. Au contact du corps et des mots de ce jeune vacancier, elle se révèle à elle-même, amoureuse et dévouée comme jamais auparavant, ce qui l’enchante et la dégoûte tout à la fois. Tout comme dans Le blé en herbe, la réalité de l’amour physique conduit à une nouvelle connaissance de soi, d’un soi désirant, confus, incapable de se fixer sur une vérité dernière. Le moi est éclaté, l’identité que c’était jusque-là construite Cécile des miettes ramassées de son rapport fusionnel avec son père n’a plus lieu d’être. Elle est troublée et devant le regard inquisiteur d’Anne, elle redoute, à l’instar de la Vinca de Colette, que l’on surprenne sur son visage les stigmates du plaisir.

J’avais toujours entendu parler de l’amour comme d’une chose facile ; j’en avais parlé moi-même crûment, avec l’ignorance de mon âge et il me semblait que jamais plus je ne pourrais en parler ainsi, de cette manière détachée et brutale.

L’ordre et le chaos

Quand Sylvain annonce son mariage avec Anne, c’est la fin d’une époque. Ce n’est pas une femme-trophée comme ses compagnes précédentes. Elle a le même âge que lui, ainsi qu’un art de vivre qui contraste avec le mode de vie qui régnait jusque-là dans son foyer. Avec son air à la fois doux et sévère, elle vient mettre de l’ordre et de la lumière dans l’existence chaotique de Cécile, elle met fin à l’aventure père-fille.

Je ne parvenais pas à comprendre : mon père, si obstinément opposé au mariage, aux chaînes, en une nuit décidé… Cela changeait toute notre vie. Nous perdions l’indépendance. J’entrevis alors notre vie à trois, une vie subitement équilibrée par l’intelligence, le raffinement d’Anne, cette vie que je lui enviais.

D’abord contrariée par cette intrusion, l’adolescente se lance dans une entreprise de sabotage en manipulant les rouges intimes de son père, qu’elle connait si bien. Elle se rend vite compte qu’elle a justement besoin de cette part de lumière, que quelque part elle a envie de mener une vie digne et ordonnée. Elle cultive une affection sincère pour Anne et regrette son complot échafaudé en un moment de colère. Mais le plan est déjà en marche et il est trop tard pour se rétracter.

Je sais que l’on peut trouver à ce changement des motifs compliqués, que l’on peut me doter de complexes magnifiques : un amour incestueux pour mon père ou une passion malsaine pour Anne. Mais je connais les causes réelles : ce furent la chaleur, Bergson, Cyril…

Bonjour tristesse est un drame particulier. La gravité des évènements est servie avec nonchalance, allégée par la tiédeur du climat et le ballottement des eaux. On y retrouve l’écriture épurée, la morosité parsemée d’humour de Françoise Sagan. C’est le roman du blues de l’été par excellence et il pourrait bien vous en consoler.

4 réflexions au sujet de “Bonjour tristesse de Françoise Sagan”

  1. Un grand bravo Fedwa, toujours un plaisir de te lire !
    Le salut depuis Agadir, fais-moi signe si tu es dans les parages 😉
    Ali

    J’aime

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