Dernièrement, je me suis découverte une véritable passion pour le théâtre. Je parle bien de lire et non pas de regarder du théâtre, ce que je n’ai pas eu l’occasion de faire depuis un bon bout de temps. Il est évident que lire du théâtre ou assister à une pièce de théâtre, ce sont là deux expériences fondamentalement différentes. Nous n’avons sous les yeux que les répliques et les didascalies. C’est à notre imaginaire de mettre en scène le texte, de donner voix aux personnages. Nous pouvons même lire à voix haute comme aux temps anciens, c’est un sujet littéraire fascinant à découvrir sur l’excellent podcast « Les courbes graciles ».
Dans tous les cas, nous jouons un rôle actif et en cela, le théâtre diffère aussi de la littérature. Dans le roman, les éléments du décor, la nature profonde des personnages, nous sont donnés avec beaucoup plus de détails. Dans le théâtre, nous avons affaire à un texte léger, malléable, ouvert à interprétation. C’est un espace libre de fantaisie et de création. C’est à mon goût ce qui fait tout le plaisir de la lecture des pièces de théâtre et j’espère que mes recommandations vous donneront envie de vous lancer.
Faust de Goethe
Je suis heureuse d’avoir enfin lu Faust cette année. C’est un récit haut en couleur et je vous le recommande vivement. Je suis d’autant plus heureuse de l’avoir lu en français, dans la traduction de Gérard de Nerval. Il faut savoir que, Goethe lui-même, préférait lire Faust dans la version française à la fin de sa vie. C’est l’exemple parfait d’une co-création entre dramaturge et traducteur, de toute la poésie qui se cache dans les interstices, entre deux langues et deux sensibilités.
De ce récit aux accents mythologiques, se dégage une impression de fin du monde, ou plutôt de la fin d’un monde. Curieusement, nous y retrouvons aussi beaucoup d’humour. Un humour acerbe qui ne tombe jamais dans l’aigreur. C’est un texte fabuleux et il convient de le lire lentement pour en savourer tout le suc. Faust, le protagoniste éponyme, est un alchimiste désabusé. Ayant épuisé les voies du savoir, il se retrouve face à un monde désenchanté, incapable de trouver sens et goût à sa vie. Dans un dernier élan de désespoir, il vend son âme au diable, Méphistophélès.
Je te le dis : un bon vivant qui philosophe est comme un animal qu’un lutin fait tourner en cercle autour d’une lande aride, tandis qu’un beau pâturage vert s’étend à l’entour.
Les mouches de Jean-Paul Sartre
Nous connaissons surtout Sartre pour Huit-clos, où nous lisons la fameuse réplique : « L’enfer, c’est les autres. » Mais sa pièce Les mouches vaut aussi le détour. C’est une réinterprétation fantasque du mythe grec antique des Atrides. Quand Oreste rentre à Agros, sa ville natale, il retrouve une ambiance délétère. La ville est envahie de mouches et le peuple est prostré face au temple de Jupiter, engagé dans un repentir perpétuel. Finalement, la prophétie se déroule comme dans le mythe originel, mais le sens qui en ressort est sensiblement différent. Par-delà la fatalité, s’élève un espoir foncièrement sartrien. Nous retrouvons les thèmes fondamentaux de la philosophie existentialiste : la liberté humaine et la capacité à faire des choix, en toutes circonstances.
La vie humaine commence de l’autre côté du désespoir.
En attendant Godot de Samuel Beckett
Cette pièce de théâtre est simple, épurée et absurde. Nous pouvons bien sûr nous étendre en interprétations symboliques ; décréter que Godot représente le divin puisque nous l’attendons sous un arbre de connaissance flétri, sur un chemin de transit, sans aucun espoir d’un jour le rencontrer. Nous pouvons aussi rester sobres, tout comme l’écriture de Beckett, voir les choses telles quelles sont : l’arbre est tout simplement un arbre, la route est belle et bien réelle et Godot un humain parmi d’autres. Quelle que soit la lecture que nous en faisons, En attendant Godot est une pièce de théâtre puissante, qui se lit d’une seule traite et reste longtemps gravée dans la mémoire.
Ne disons donc pas de mal de notre époque, elle n’est pas plus malheureuse que les précédentes. (Silence.) N’en disons pas de bien non plus. (Silence.) N’en parlons pas. (Silence.) Il est vrai que la population a augmenté.
Rhinocéros d’Eugène Ionesco
Rhinocéros est une pièce de théâtre complètement absurde. Ici, notre tentation interprétatrice, notre manie de donner sens à tout, est mise à rude épreuve. Il s’agit bien de rhinocéros, ces pachydermes parfois unicornes parfois biscornus, selon qu’ils viennent d’Asie ou d’Afrique, qui envahissent le décor d’une petite ville de province. Nous y retrouvons bien des réflexions cocasses sur l’absurdité de la vie moderne et l’aliénation au travail. Mais il y est surtout question de rhinocéros qui apparaissent du jour au lendemain, sans que personne ne sache pourquoi ni comment.
Les rhinocéros existent, c’est tout. Ça ne veut rien dire d’autre.

La couverture a été illustrée par Étienne Delessert, en 1981.
La copie que j’ai retrouvé chez le bouquiniste a été achetée la première fois en 1991.
Magnifique thème, brillamment exposé, félicitations Fedwa !
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Merci beaucoup !
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