Le vrai classique du vide parfait est un titre curieux, très curieux, je vous le concède. Et puis, que peut-on dire de bien sérieux sur le vide ? C’est une question légitime quand on considère le vide du point de vue de la pensée occidentale, le vide en contraste avec l’être, le vide comme manque et comme absence. Dans la pensée de l’Extrême-Orient et plus spécifiquement chez les taoïstes, le vide est conçu comme un condensé des possibles, comme ce qui engendre les choses et non seulement les annihile. Parler de vide, d’un point de vue philosophique, devient alors intéressant.
Le vrai classique du vide parfait est une collection de textes taoïstes, dont beaucoup sont associés à Lie Tseu, philosophe emblématique de cette école. Ces textes remontent à 450 av, J-C, en Chine, et si on peut y rencontrer des curiosités occasionnelles de l’époque, c’est un discours résolument actuel. À croire que l’humain a toujours eu autant de mal à comprendre des choses simples : la présence à soi et au monde, la fluidité face aux aléas de la vie et l’insoluble incertitude qui nous accompagne tous les jours. Je vous partage ici quelques idées que j’ai retenu de ma lecture en espérant que vous serez tentés de faire votre propre cueillettes dans le texte, comme je l’encourage vivement quand il s’agit de lire des aphorismes.
Qui est Lie Tseu ?
Philosophe, prophète ou magicien ? Le personnage de Lie Tseu prête à confusion. Dans le récit de sa vie, se mêlent éléments biographiques, mythes et comme pour beaucoup de figures de l’époque, il est difficile de démêler le vrai du faux. Ce qui est certain, c’est qu’il a vécu en Chine au milieu du Ve siècle av. J. -C. et qu’il était un contemporain de Confucius. Considéré comme le fondateur de l’école taoïste, les textes qu’il aurait laissés derrière lui sont au cœur de cette pensée. Pendant longtemps, ces imprécisions historiques ont été un argument avancé pour discréditer la pensée chinoise et ne parler que de sagesse ou de spiritualité, voire d’élucubrations, là où il y avait une véritable quête philosophique.
Le fait est que la philosophie antique a toujours évolué au voisinage de la spiritualité et de la mythologie. Réduire la pensée de l’Extrême-Orient à sa légende, c’est faire deux poids, deux mesures. Car suivant ce raisonnement, des philosophes et penseurs influents de la Grèce Antique devraient être relégués au rang de mythologie et de fiction. Pythagore a même bénéficié de son propre culte et a été élevé par certains de ses disciples au rang de prophète. Cela signifie-t-il que son apport est sans importance ?
Si nous ne pouvons trancher quant à l’exactitude et l’ordre de cette mosaïque de textes qu’est Le vrai classique du vide parfait, nous sommes en droit de parler d’une philosophie taoïste ; c’est-à-dire un système de pensée, une vision du monde et des concepts qui lui sont uniques. Je ne prétends pas en faire un résumé complet ici. Mais j’espère, en présentant quelques idées qui ont retenu mon attention, vous encourager à aller voir par vous-mêmes toute la subtilité de la pensée taoïste.

Sept idées clés pour comprendre le taoïsme
1. Dans sa diversité, l’être est une totalité.
En vérité, le Ciel, la Terre, et les dix milles êtres forment un tout solidaire : vouloir y faire des discriminations et des appropriations constitue une grave erreur.
2. Le non-agir est la voie royale entre nécessité et liberté.
Je n’ai pas de méthode. J’ai commencé, puis j’ai fais des progrès ; la chose m’est devenue instinctive, maintenant elle m’est naturelle. Je m’offre au tourbillon qui m’aspire tout entier et je ressors du gouffre écumant. Je suis le Tao de l’eau et je ne fais rien par moi-même. C’est pourquoi je puis ainsi évoluer dans les flots.
3. La sagesse est incommunicable, la compréhension vient avec la pratique.
Le discours parfait est sans paroles, l’acte parfait est de ne pas agir. Ce que tous les sages savent est peu profond.
4. Dans un monde en constant changement, il n’y a pas de principe absolu.
En outre, il n’existe pas dans le monde de principe qui soit valable en toutes circonstances, pas un acte qui soit mauvais dans tous les cas. Ce qui fut jadis en usage est peut-être rejeté aujourd’hui. Ce qu’on rejette aujourd’hui sera peut-être en usage plus tard. L’usage et le non usage ne suivent pas de règle fixe. Comment exploiter une occasion, trouver le moment opportun, se plier aux circonstances, voilà ce qui ne dépend d’aucune recette. Il s’agit ici d’une certaine habileté.
5. L’empathie dépasse les barrières de l’espèce.
Comment le cœur des bêtes serait-il si différent de celui des hommes ? Seulement, leurs formes et leurs voix sont différentes de celles des hommes et nous ignorons l’art d’entrer en relation avec elle. Le principe de discernement est souvent naturellement le même chez les animaux et chez les hommes.
6. La mort est bien peu de chose.
Une fois mort, tout me sera indifférent.
7. Il est futile de spéculer sur la fin du monde.
Celui qui prétend que le ciel et la terre s’abîmeront ne sait pas de quoi il parle. Celui qui prétend qu’ils ne s’abîmeront pas est également dans l’erreur. Si le monde doit finir ou non, c’est ce que nous ignorons. En tout cas que l’un prétende ceci, que l’autre prétende cela, c’est tout un. Les vivants ne comprennent pas la mort, les morts ne comprennent pas la vie. L’avenir ne comprend pas le passé, le passé ne comprend pas l’avenir.
Que le monde ait une fin ou non, pourquoi nous encombrer l’esprit de ce souci ?
Lire et relire Le vrai classique du vide parfait
J’ai une confession à faire : ce n’est pas la première fois que je lis Le vrai classique du vide parfait. Il y a quelques années et parce que je pressentais toute l’importance de ce livre, j’ai essayé de le lire. Les idées, les images, bien que très limpides, me restaient inaccessibles. Prise dans le tourbillon de la vie alors, je n’avais pas la patience nécessaire pour un enseignement qui requiert une lente digestion. Mais je suis contente d’être revenue vers ce texte et j’y ai enfin cueillie des joyaux de pensée qui m’accompagneront toujours.
J’ai une autre confession à faire : je relirai Le vrai classique du vide parfait, encore et encore. Il est sagement posé sur ma table de chevet, je relis des passages au gré de mes envies et chaque fois, des pans du texte deviennent plus clairs, à la lumière de mon vécu, car le taoïsme est à la fois une philosophie et un art de vivre.
Merci Fedwa pour cette belle chronique philosophique. J’en sais un peu plus sur le taoïsme et quel livre acquérir pour approfondir… Là je sors de Pascal et la période d’été m’incite à lire des romans. Mais c’est programmé ! 😀.
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