Littérature japonaise : Les belles endormies de Yasunari Kawabata
Notes de lecture

Les belles endormies de Kawabata

Ce sont des clients de tout repos qui viennent passer la nuit aux bras de corps jeunes et drogués, plongés dans un profond sommeil dont on ne peut être réveillé. Auprès de ces jeunes femmes inconscientes, des vieillards cherchent les relents d’une sensualité émasculée et un ersatz du grand repos. Dans Les belles endormies, Yasunari Kawabata nous décrit cette maison close à la fois sublime et monstrueuse à travers les yeux d’Eguchi, un homme âgé qui ne s’avoue pas encore vaincu par la vieillesse. C’est un roman particulier, où la beauté côtoie l’horreur, servi par une écriture épurée sans pareil.

Méditation sur le désir et la mort

Auprès des corps des belles endormies, Eguchi est respectueux, ne les touchant presque pas. La description des corps nus, offerts, dévoile une sensualité raffinée. Entre rêve et éveil, le vieil Eguchi contemple et hume les corps, en fait l’instrument de son introspection. Un parfum, un tremblement imperceptible de la lèvre, peuvent le rappeler à ses anciens amours et c’est sa biographie amoureuse, une biographie de la vie dans ce qu’elle a de plus animal et de plus réel, qu’il écrit au cours des nuits passées à la maison de tout repos. Quelque part, ces méditations sur des corps plongés dans le sommeil le plus profond, voisin de la mort, amènent l’homme à se rappeler sa mort prochaine, inéluctable. Memento Mori. Mais aussi à accepter sa mort, à y voir le repos final, le plaisir ultime. Éros et Tatanos sont intimement liés, comme le sous-entendait Hermann Hesse dans Narcisse et Goldmund.

Ce qui montait du fond de leur poitrine quand ils étaient étendus au contact de la nudité d’une jeune femme endormie, peut-être n’était-ce que la terreur de la mort prochaine et le vain regret de leur printemps disparu.

Les belles endormies : meilleur livre de Kawabata
Hokusai : La grande vague (Tsunami)

La grande vague

La mer est omniprésente dans ce roman. Elle ne chamboule pas l’existence des personnages comme dans Typhon de Joseph Conrad. Elle se fait plus discrète. On l’entend gronder plus fort, se heurter violemment aux rochers, quand le désir s’intensifie, puis elle se fait calme quand tout s’adoucit de nouveau. Kawabata écrit comme on peint. Il est dans l’observation pure, sans jugement, où la description d’une personne qui se meurt est aussi touchante que celle d’une feuille qui tombe d’un arbre en automne. Son écriture fait estampe : c’est le même univers clos qui nous est décrit au fil des pages, mais avec toujours plus de profondeur, de nouvelles couches sensorielles. Si je pouvais décrire la palette des Belles endormies, ce serait un gris clair et un bleu délavé, des couleurs troubles comme les eaux morales dans lesquelles s’enfonce Eguchi.

Désirant rester ainsi, le vieillard pressa la main de la fille sur ses deux yeux. L’odeur de la peau qui se communiquait à ses globes oculaires était telle qu’Eguchi sentait remonter en lui une vision nouvelle et riche. À pareille saison tout juste, deux ou trois fleurs de pivoine d’hiver, épanouies dans le soleil de l’automne tardif au pied du haut mur d’un vieux monastère du Yamato, des camélias sazanka blancs épanouis dans le jardin en bordure du promenoir externe de La Chapelle des Poètes winirés, et puis, mais c’était au printemps, à Nara, des fleurs de ptéris, des glycines, et le « Camélia Effeuillé » couvert de fleurs au Tsubaki-dera…

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