Loin de la figure traditionnelle de la sorcière, qui terrorise le village et prépare des potions à base de piment et de crottes de chats noirs pour séparer les couples, la sorcière moderne apparaît plus douce, plus girly, et alimente les rubriques mode et beauté des magazines féminins avec une esthétique de l’ésotérique très tendance.
Sorcellerie et pop féminisme
La sorcière moderne est féministe, d’un féminisme soft, pop, aux couleurs rose bonbon. Elle est loin de la figure inquiétante de ses aïeules qui encourage les femmes à quitter leurs maris, à tuer leurs enfants, à détruire le capitalisme et à devenir lesbiennes. Son féminisme ne dit pas non, ce n’est pas une doctrine du refus, mais du grand oui, du choix : le choix d’embrasser la féminité traditionnelle réétiquetée révolutionnaire, au bonheur des messieurs. Dans Basic Witches, on lui expliquera que mettre du noir la rapprochera de l’infini de l’univers, que le rouge à lèvres lui donnera de la force et que des bijoux voyants augmenteront sa confiance en elle.
Après, je ne généralise en rien, et il y a bien des féministes moins rose bonbon qui embrassent la figure de la sorcière, ça a d’ailleurs été un symbole prisé des mouvements féministes des années 70, notamment avec WITCH (Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell ) qui, malgré quelques déclarations problématiques, avaient bien saisi l’esprit de la sorcière dans leur manifeste :
Si vous êtes une femme et que vous osez regarder à l’intérieur de vous-même, alors vous êtes une sorcière.
Dans Sorcières, Mona Chollet parle de cette récupération d’un héritage féminin ancestral, qui n’est pas récente mais retrouve un nouveau souffle à l’heure des sorcières 2.0 :
Avant même que la sorcellerie ne devienne un concept rentable, on peut penser que l’industrie cosmétique, en particulier, a bâti une partie de sa prospérité sur une obscure nostalgie de la magie présente chez beaucoup de femmes, en leur vendant ses pots et ses fioles, ses actifs miraculeux, ses promesse de transformation, son immersion dans un univers enchanté.
Spiritualité New Age
Les sorcières modernes pratiquent le culte de la déesse, elles suivent les cycles de la lune qu’ils conçoivent comme un reflet de leurs cycles biologiques et croient aux énergies cachées du cosmos. Contre la superstition de leurs grands-mères, les sorcières modernes troquent un amalgame de croyances new age. Sans dictature de la foi, chacune est invitée à s’adresser aux divinités de son panthéon personnel, à l’univers ou tout simplement à son subconscient. Un tel retour des vieilles divinités peut inquiéter les plus sceptiques, mais ne jetons pas tout à la trappe et essayons de comprendre ce besoin incompressible d’irrationnel.
Si l’on considère la critique de Mona Chollet de la rationalité pure, cette mouvance peut se concevoir plus comme une réplique au culte masculin de la rationalité qu’un rejet franc de toute raison et de toute science, comme une tentative d’insuffler de la poésie et de la beauté dans un monde qui s’impose d’abord comme chaos. Le culte de la déesse, plus qu’une énième lubie new age, pourrait être vu comme un rejet des religions patriarcales et les façons dont elles ont façonné nombre de sociétés, y compris les plus séculaires. Encore faut-il poser des limites entre la libre exploration existentielle et la superstition pure et simple, car je suis atterrée de voir des jeunes « sorcières » parler de mauvais œil.
Le rituel de la sorcière
Qu’elles allument des bougies pour Diane ou qu’elles s’en remettent à la sagesse de leur subconscient, les sorcières modernes sont toutes adeptes du rituel. Elles chargent leurs cristaux à la lumière de la pleine lune, bénissent leur café du matin ou encensent leur espace pour le purifier des « énergies » délétères. Un rituel personnel, conçu par ses propres soins et qui a du sens pour nous peut être bénéfique, voire nécessaire. En témoignent la quête constante d’une routine idéale chez les écrivains et écrivaines. Le rituel nous ancre dans notre quotidien, lui donne du sens et révèle la magie de l’instant. En cela, la sorcellerie peut participer au bien-être de ses participantes et leur permettre de trouver des ilots de calme dans leur quotidien frénétique.
Clôturer la saison de la sorcière
En parcourant cette thématique sur mon blog, je savais que je m’attaquais à un sujet tendance sur lequel abondent les contenus, mais j’espère avoir mis en lumière quelques-uns des contrastes qui le parcourent et offert une réflexion différente. Mon opinion sur le sujet reste aussi mitigée qu’au tout début, mais avec une compréhension nouvelle et des questions tout aussi nouvelles. Tout ce que je peux affirmer aujourd’hui c’est que les sorcières modernes sont aussi nombreuses que diverses. Mais à la différences de leurs ancêtres, elles sont plus visibles que jamais, elles n’ont pas honte de partager leur pratique en ligne, avec un public large. Avec cela arrive une déferlante de tendances et comme pour le « girl power » des années 80, une récupération marchande et simplificatrice. Est-ce pour autant que la sorcellerie moderne est une pratique futile? Pas forcément. Prendre du temps pour soi, méditer, se laisser aller à la rêverie, sublimer l’instant de l’intérieur… Ce sont là des pratiques bénéfiques. Et comme l’exprimait bien Jack Parker : « L’important, c’est que ça marche et que ça nous fasse du bien, non? »