Personnage iconique de Disney, désormais dompté par nos imaginaires, ou réalité quotidienne qui ne cesse de fasciner et d’effrayer, la sorcière n’en a pas fini de faire parler d’elle. Ces dernières années, la figure ancestrale reprend des couleurs modernes et devient figure de proue de certains mouvements féministes. Dans « Sorcières : la puissance invaincue des femmes », Mona Chollet ne centre pas tant son propos sur la généalogie d’une culture féminine, ni sur la naissance de la sorcière moderne. La journaliste et autrice tente plutôt de réfléchir sur la façon dont notre vision actuelle (et plus spécifiquement, occidentale) de la femme, mais aussi de la nature et du savoir, a été façonnée par l’histoire violente de la chasse aux sorcières, tout découvrant de nouvelles perspectives, réconciliées avec le féminin.
Dans la culture populaire, la sorcière est souvent représentée sous les traits d’une vieille dame célibataire sans enfants, flanquée de son chat noir, de son familier. Horreur. Une femme sans mari ni attaches, dont l' »horloge biologique » a cessé de tourner, qui a sauté toutes les cases de la féminité classique et qui se retrouve donc, radicalement libre. Hier comme aujourd’hui, rien de plus effrayant. Indépendance, stérilité et vieillesse : dans cette trinité se concentrent les principaux chefs d’accusation de la désobéissance féminine. Ce qui, à l’époque des bûchers, éveillait les soupçons de l’inquisition, suscite aujourd’hui un mélange de pitié et de mépris. Tour à tour, Mona Chollet déconstruit la mythologie autour du célibat féminin, éveille la zone de non-pensée qu’est le sens de l’enfantement et met en lumière le principe des deux poids deux mesures de vieillissement entre les hommes et les femmes. Sa pensée, tout en nuances, ne se limite pas à diagnostiquer et à déconstruire, mais ouvre vers de nouveaux possibles : l’aventure de soi comme la romance, l’enfantement comme la stérilité, pourraient être choisis et vécus pleinement, solidifiés par une vieillesse qui s’imbibe de son expérience et ne joue pas à la comédie de la jeunesse éternelle.
Le phénomène de la chasse aux sorcières est plus récent qu’on ne le croirait. Ce qu’on associe souvent au Moyen Âge est plutôt un produit de la Renaissance, d’une époque d’éveil de la raison et l’esprit scientifique. Derrière les promesses d’humanisme et d’émancipation du siècle des Lumières, un sombre projet d’éviction des femmes de tous les domaines de savoir était en marche. Le rejet de la culture féminine a conduit à un nouveau rapport au savoir et à la nature. Le culte de la raison, qualité décrétée masculine, a conduit à une séparation de l’esprit et du corps, et d’une disqualification des affects. Pourtant, il n’y a pas de raison pure et prétendre à un raisonnement sans affect est illusoire, voire puérile. De même, la nature qui était jusque-là vue comme un organisme vivant dont l’humain fait partie intégrante a été mise à distance, considérée désormais comme une matière morte, une ressource à exploiter. En faisant l’éloge d’une double libération désormais nécessaire par l’écoféminisme et sans tomber dans l’essentialisme, l’essayiste nous enjoint à oser imaginer un autre cours de l’histoire et de nous ouvrir à d’autres formes de progrès futurs, réconciliés avec la nature et le féminin.
Les thématiques qui traversent Sorcières sont déjà présentes dans nombre des essais de Mona Chollet, tels que Beauté fatale ou encore Chez soi. À savoir le culte de la rationalité, la revendication d’une vie authentique, du temps à soi et du droit à la rêverie. Ces sujets, qui sont à l’intersection du féminisme, le dépassent aussi vers une réflexion plus large sur notre culture moderne. Avec ce quatrième ouvrage, je pressens que l’autrice est en train de toucher à une sorte d’aboutissement de sa pensée, que les pièces d’une mosaïque minutieusement assemblée commencent à prendre forme.
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