Dans le paysage littéraire anglais du 19ème siècle, Thomas De Quincey est un auteur à part. Ni franchement romancier, ni tout à fait essayiste, il a expérimenté avec diverses formes d’écriture sans jamais respecter les codes d’aucune, toujours avec humour. Dans Les derniers jours d’Emmanuel Kant, il se base sur Kant intime, ouvrage réalisé par trois des disciples du philosophe : L.E. Borowski, R.B. Jachmann et E.A. Wasianski. C’est la voix de ce dernier que De Quincey emprunte pour faire le récit de la déchéance physique et mentale de Kant. Sans sarcasme apparent, le texte est écrit avec un sens du détail extrême, qui laisse entendre que l’écrivain y prend un malin plaisir. Petit livre d’une centaine de page, j’ai lu Les derniers jours d’Emmanuel Kant d’une seule traite, avec des impressions mitigées.
Un admirateur de Kant
Si vous vous attendiez à voir Kant complètement tourné en ridicule comme dans la foule de memes qui circule sur internet, vous serez bien déçus. Lisez plutôt les aphorismes incendiaires de Nietzsche. De Quincey est un fervent admirateur du philosophe. Selon lui, « jamais intelligence humaine ne fut si élevée. »
Si vous cherchez une introduction à la philosophie kantienne, vous serez tout aussi déçus. L’écrivain ne fait que relater la vie de Kant et les minuties de son quotidien. Il nous présente le portrait attendrissant du philosophe de Königsberg : amical, doté d’un grand sens de l’écoute, généreux, discipliné et stoïque. Nous apprenons aussi quelques petits faits curieux comme son travail de jeunesse en tant que bibliothécaire ou sa passion pour les oiseaux.
Décadence et espérance
Durant des décennies, Kant a mené une vie réglée, à la seconde près : son réveil à cinq heures tapantes, ses heures concentrées de lecture et d’écriture, son déjeuner entre amis et sa marche de l’après-midi. Mais la dernière année de sa vie, rattrapé par la maladie et malgré tous ses efforts, il voit sa discipline se relâcher. Sa vue baisse, ce qui rend difficile toute lecture. Sa mémoire s’érode, ce qui empêche toute réflexion consistante. Enfin, il multiplie les chutes et il lui devient bientôt impossible de s’adonner à la marche. Ce n’est pourtant que le début de sa décadence. Bientôt il ne sera plus, comme le décrira l’un de ses amis, que « la coquille de Kant. » Gêné par son impuissance, il accepte de moins en moins de visites. Au milieu de ces processus de dégénérescence physique et mentale, il garde un ferme espoir : celui de voyager l’été, un été qu’il n’est pas certain de voir.
Il écrivit cette note sur son carnet : « Les trois mois d’été sont juin, juillet et août » : ce qui signifiait que c’était les trois mois où l’on voyage. Dans la conversation il exprimait la force fiévreuse de ses vœux, si anxieusement et si plaintivement, que tous éprouvaient pour lui une puissante sympathie et auraient souhaité d’avoir quelque moyen magique pour accélérer le cours des saisons.
Rire ou s’attendrir?
Je ne sais pas si c’est mon manque d’humour ou si la traduction a ôté toute ironie au texte, mais je n’ai pas trouvé ce livre particulièrement drôle. Connaissant Thomas De Quincey, je m’attendais à rire, mais je finissais par m’attendrir. La description détaillée de la décrépitude de Kant pourrait être source de shadenfreude pour certains. Je n’y ai vu que l’émouvant témoignage d’une fin de vie. Voir quelqu’un qui a porté autant d’attention à son hygiène de vie tomber dans le chaos est tout simplement triste. À une ère où le personnage de Kant était révéré, le montrer dans sa faiblesse aurait pu être une transgression. Je ne pense pas que ça aura le même écho aujourd’hui, à une époque où peu de cas est fait de la dignité des philosophes.
Il y a un proverbe chez nous qui dit qu’en vieillissant, les lions deviennent le divertissement des hyènes.
Si vous même n’y avez pas vu de moquerie apparente, j’imagine bien que c’est votre oeil qui n’est pas mauvais 😉
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Ça me rassure !
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