J’ai toujours gravité vers les philosophes post-socratiques. Souvent ils nous proposent, bien plus que des méthodes de pensée, des arts de vivre. Ils tentent de répondre aussi bien aux questionnements existentiels qu’aux soucis du quotidien. Leurs raisonnements étaient peut-être plus simples, mais jamais superficiels. Les réponses qu’ils apportent au comment vivre sont bien plus salutaires que les supercheries des coachs et des livres de self help qui pullulent aujourd’hui.
Pendant longtemps, j’ai été disciple d’Epicure. Je procrastinais sur la lecture des stoïciens qui me semblaient plus froids et exigeants. Puis un jour je tombe sur un petit livre de Sénèque sur l’un de mes thèmes fétiches : l’oisiveté. L’Éloge de l’oisiveté n’est qu’un court texte de Sénèque, mais l’éditeur l’a agrémenté d’extraits de correspondances. Les Lettres à Lucilius nous dévoilent l’intimité de Sénèque et l’on découvre un stoïcien loin de toute froideur ou rigidité, un homme qui a authentiquement vécu et en tire toute une philosophie de vie.
L’oisiveté : un concept stoïcien?
À première vue, l’oisiveté est aux antipodes du stoïcisme. Les pionniers de cette philosophie prônaient l’action et l’engagement dans la vie sociale, ainsi qu’une discipline sans failles. Sénèque trahirait-il donc les siens en faisant l’éloge du repos ? Ce qui est encore plus curieux dans son Éloge de l’oisiveté, c’est qu’il cite souvent Épicure, rival de l’école stoïcienne et oisif décomplexé. Serait-il entrain de trahir son école de pensée ? Rien de moins vrai pour Sénèque :
« Me demandes-tu quelque chose de plus que de me modeler sur mes maîtres? Eh bien! j’aurai été non où ils m’envoient, mais où ils me mènent. »
Dépasser l’opposition entre oisiveté et action
Si Sénèque oppose l’oisiveté au surmenage, il ne l’oppose pas forcément à toute activité. L’oisiveté est ici comprise comme un espace de contemplation, un exercice philosophique qui nous aide à mieux nous comprendre et à appréhender avec plus de discernement le monde qui nous entoure. Pour Sénèque, c’est aussi un instinct qui nous anime, nous avons une « immense soif de connaitre » et plus loin : « La pensée de l’Homme force jusqu’aux remparts du ciel, c’est peu pour elle de connaître les choses visibles… ».
Il n’y a pas non plus de contradiction entre la quête philosophique et l’action chez Sénèque, car « la nature a voulu que je fasse deux choses : agir et vaquer à la contemplation. Je les fais toutes deux… ». De plus, « la contemplation même n’est pas sans action[…] c’est dans la pratique qu’elle doit s’assurer de ses progrès et au lieu de se borner à méditer sur ce qu’il faut faire, elle doit parfois mettre la main à l’œuvre et traduire ses abstractions en réalité. » Rien de pire pour Sénèque que les paresseux qui contemplent sans agir, qui se complaisent dans l’absolue apathie. C’est même un faux repos que le leur, souvent pétris de dépit et de résignation. Dans son art de la formule, le rhétoricien nous illustre la place de la contemplation dans la vie du le stoïcien :
« Pour d’autres c’est le but; pour nous c’est une station, non un port. »
La tyrannie des occupations
Le propos de Sénèque est surtout dirigé vers la large portion de la société qui a un excès d’activité. Une activité pas toujours sensée ni réellement utile. Sénèque met en garde contre la succession des occupations, surtout les plus futiles qui nous bouffent des morceaux de notre vie sans plaisir. Les e-mails et les notifications, ces maux du siècle, en sont un bon exemple. Sénèque exhorte son ami Lucilius à couper le mal à la racine en fermant la porte à toute occupation, à « oser quelque chose pour l’oisiveté ».
Les occupations s’engendrent les unes les autres et se multiplient sans fin. Elles ont leurs sources dans des niveaux superficiels du désir : le désir des honneurs, de la fortune, de choses dont on peut aisément se passer. Aussi Sénèque encourage-t-il Lucilius à trouver la richesse dans la simplicité. Il ne s’agit pas ici de prôner la frugalité, mais plutôt l’indépendance. Une personne indépendante ne refuse pas forcément les petits plaisirs de la société, mais ils lui sont superflus. Elle en jouit modérément sans en dépendre, elle a son centre et son contentement en elle-même. C’est un idéal difficile à atteindre et peut-être que nous ne l’atteignons jamais. Après tout, nous sommes des animaux sociaux pétris d’anxiétés et cherchant sans cesse des consolations. Mais en y tendant régulièrement, nous pouvons trouver des instants de détachement et de repos plus souvent.
La frénésie des occupations prend souvent le pas sur toute réflexion. Pourtant, la réflexion doit être notre activité première car « Pour elle nulle vie n’est assez longue, s’étendit-elle depuis l’enfance jusqu’au terme de la vieillesse la plus reculée. » Pour Sénèque, c’est une vie malheureuse qu’une vie passée à des occupations creuses et chronophages, sans jamais s’arrêter pour faire le bilan des heures perdues. En contraste, une vie authentique est toute présence au temps et apaisement dans la contemplation.

Quid de la passivité politique?
Dans son argumentaire, Sénèque oppose la contemplation philosophique à l’activité publique. Mais il aura beau faire l’apologie de l’apolitisme, Sénèque a été longtemps engagé dans la vie de la Cité. Fonctionnaire de la cour sous l’empereur Claude puis conseiller de Néron, il est pétri par cet univers. Dans sa 73ème lettre à Lucilius, il fait un éloge au pouvoir qui rappelle les chiens de garde de Paul Nizan. Peu lui importe la nature du pouvoir, sa légitimité ou son sens de la justice tant qu’il lui assure la stabilité nécessaire pour exercer la contemplation philosophique. Cette passivité politique est loin de me séduire et je me retrouve beaucoup plus dans la revendication du droit à la paresse de Lafargue.
Le fatalisme politique semble avoir été une tendance chez les stoïciens, mais la situation de Sénèque était particulièrement délicate. Ses jours s’achèvent quand, accusé de diffamation par Néron, il est condamné à se tuer de ses propres mains.
« Les réponses (que les philosophes) apportent au comment vivre sont bien plus salutaires que les supercheries des coachs et des livres de self help qui pullulent aujourd’hui. »
Oh que oui !
Ces gourous de la psychopop m’horripilent moi aussi !
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Moins de coaching et plus de philosophie !
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