Comme je l’ai dit dans un article précédent sur la confession de Léon Tolstoï, cet écrivain m’a toujours inspiré par son effort constant pour suivre une discipline de vie, une discipline qu’il ne respectait pas toujours mais à laquelle il revenait sans cesse. Son désir de construire un moi souverain, par-delà les tumultes de la vie quotidienne, approche de l’utopie. Mais sa persévérance et sa constance sont des qualités que nous pourrions tous gagner à développer.
5:00
Tolstoï a longtemps clamé qu’il avait pour règle d’or de se réveiller à cinq heures tous les jours. Nous ne savons pas trop à quoi il s’occupe durant ces premières heures du matin, peut-être qu’il marchait de long en large dans sa large propriété, parmi les arbres fruitiers et les champs labourés qui sentaient bon la promesse de la moisson. En tout cas, nous n’avons pas ce luxe. Quand je me réveille à cinq heures du matin, le clair-obscur du quartier casaoui à ma fenêtre ne me rassure pas et je n’ai pas vraiment envie de sortir faire une petite balade. Je reste chez moi et je contemple mon plafond, exercice très utile pour enrichir sa conscience et vaincre l’ennui.
9:00
Ce n’est qu’à neuf heures que Tolstoï prend son petit déjeuner, probablement l’heure à laquelle le reste de sa famille se décide enfin à se réveiller. C’est un problème que j’ai souvent : je me réveille souvent beaucoup trop tôt pour mon entourage et je reste seule des heures durant. Mais peut-être que cela a du bon, c’est l’occasion de se donner du temps pour soi et de méditer face au lent réveil du monde. Tolstoï prend un petit déjeuner simple et sans fioritures. Il faut dire aussi qu’il était végétarien et que c’est l’une des affinités que j’ai avec lui. Tout comme moi, Tolstoï est devenu végétarien pour des raisons éthiques. Mais avec le temps, il y a vu l’occasion d’épurer et de simplifier son rapport au manger, pour mieux se concentrer sur son Grand oeuvre. Je n’ai pas pu trouver de détails sur le petit déjeuner tolstoïen, mais pour moi c’était un bon gros bol d’avoine.
Une fois le petit déjeuner terminé, Léon Tolstoï s’installe à son bureau avec une tasse de thé et commence à travailler. Il ne travaille pas n’importe comment et sur ce qui lui chante, car il a toujours un but : pour l’année, le mois, la semaine et le jour. C’est ainsi qu’il peut « écrire chaque jour sans faute », ou presque. Il ne fait jamais qu’une seule chose à la fois. Il faut dire que l’humain est médiocre au travail multitâche et mettre dix mille choses sur son plat ne conduira qu’à ne rien achever au final.

2:00
Tolstoï s’installe à table pour déjeuner. Encore une fois, rien de luxueux : tambouilles, pommes de terre et pelmeni (sortes de raviolis russes). Une fois rassasié, il retourne à son bureau. Notons aussi qu’il s’accorde chaque jour deux heures de sieste. Je suis incapable de faire une vraie sieste, mais m’allonger une petite heure au milieu de la journée m’a offert un instant inutile bien agréable. Tolstoï s’accorde également une heure de marche par jour, ce que j’ai fait plus tard dans la journée et c’est là que j’ai réalisé tout l’écart qu’il peut y avoir entre un homme propriétaire du 19ème siècle et une femme marocaine en zone urbaine au 21ème siècle. Loin d’être un instant de quiétude et de méditation, la marche s’est vite transformée en une course-poursuite parsemée de sifflements et de commentaires non sollicités.
19:00
A dix-neuf heures, il est temps de dîner et de se détendre. Tolstoï s’accorde enfin un peu de distraction, il sort de son hermitage pour converser avec sa famille et ses amis. Il faut dire qu’il était difficile de ne parler à personne durant toutes ces longues plages de travail ou de méditation. Mais ce n’est pas le plus difficile encore. Le plus difficile c’était de mettre tous ses réseaux sociaux en veilleuse, un problème que ne connaissait pratiquement pas Tolstoï. Car on peut bien mettre de la distance physique avec les personnes qui peuplent notre vie quotidienne, mais le smartphone nous titille jusque dans notre solitude la plus complète. Enfin, il est clair Tolstoi ne faisait pas le ménage chez lui, il avait ce luxe. Mais habitant seule, je ne peux pas laisser mes casseroles pourrir toute la journée dans l’évier jusqu’à ce qu’une main providentielle s’en charge. Voilà donc des choses qui altèrent mon expérience de la routine tolstoïène.
Malgré tout, j’ai pu tirer de nombreux bénéfices de cette routine et j’en garde des réflexes encore aujourd’hui. En limitant mes interactions au minimum durant mes sessions de travail, je m’évite de tomber dans des spirales infinies de distraction. Je me concentre beaucoup mieux sur le papier en main et je me retrouve à faire un kilométrage de mots beaucoup plus long que d’habitude. Et avec ces vacances de l’esprit que je m’offre entre cinq et neuf heures, je me surprends à achever plus de choses dès le matin, beaucoup plus que si j’avais commencé ma session de travail au réveil.
22:00
Il est déjà l’heure de se coucher. C’est le prix à payer pour se réveiller à cinq heures du matin tous les jours.
Beau article comme d’habitude ! Tolstoï !
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