Arthur Schopenhauer fait partie de ces auteurs que je lis en marge. C’est-à-dire que j’ai quasiment fait le tour de ses ouvrages mineurs sans jamais trouver le courage de commencer son œuvre majeure : Le monde comme volonté et comme représentation. Enfin si, je me rappelle l’avoir ouvert une fois et avoir commencé à lire l’introduction. Très vite, Schopenhauer nous dit que si nous n’avons pas lu toute l’œuvre de Kant, on ferait bien de refermer le livre et de revenir plus tard. Je ne me le faisais pas répéter deux fois.
Cela dit en passant, il y a bien des choses qui me déplaisent chez lui. Par exemple sa misogynie m’horripile. De plus, je ne trouve pas ses arguments pour le pessimisme toujours pertinents. Il m’arrive de le trouver un peu trop grincheux, voilà le mot est dit. Malgré ces discordances, Schopenhauer est un philosophe que j’apprécie beaucoup, en partie pour son écriture non-ésotérique, et ses réflexions cocasses sur des sujets aussi variés que les dangers de l’excès de lecture ou comme nous le verrons ici, l’ennui.
Cette chronique a été rédigée avec une sélection de Debussy dans les oreilles. Car après tout, aussi grincheux soit-il, Schopenhauer appréciait beaucoup la musique. Il dit d’ailleurs dans Parerga et Paralipomena que « la musique est le plus puissant de tous les arts ».
Douleur et ennui
Ce mois, en lisant Parerga et Paralipomena, je me rapprochais un peu du Monde que je fuyais depuis des années. Parerga et Paralipomena sont des mots grecs pour dire suppléments et omissions. Cet ouvrage vient en effet éclairer le propos du Monde comme volonté et comme représentation et en démontrer les applications éthiques. Dans cet ouvrage sous-titré Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Schopenhauer prend comme point de départ l’eudémonologie, ou « l’art d’être heureux », sans y souscrire. En effet, pour le philosophe, le bonheur est une chimère et la seule quête qui vaille la peine d’être menée est celle d’une vie sans douleur.
Loin d’être une chimère, la douleur existe bel et bien. Elle est positive et c’est là le plus grand ennemi de l’humain, secondée par l’ennui. Au fil des pages, Schopenhauer développe une réflexion intéressante sur les causes de l’ennui et ses remèdes. Ces remèdes ne sont pas palliatifs, mais entendent couper le mal à la racine pour vaincre l’ennui une fois pour toutes.
L’ennui est le produit de notre personnalité
Schopenhauer adopte un ton assez élitiste pour établir une hiérarchie des personnalités. Certaines, « supérieures », accèdent au divertissement sans grande stimulation, par un simple jeu de pensées. Tandis que d’autres, « inférieures » ou « ternes », pour qui toutes les jouissances sont pauvres, qui s’adonnent aux distractions les plus vulgaires sans jamais pouvoir combler leur vide intérieur. Cela me rappelle un peu le passage dans Girls où Adam criait : « L’ennui c’est pour les gens paresseux sans imagination! »
Pour Schopenhauer, c’est la qualité de notre conscience qui détermine à quel point nous nous ennuyons. Certaines natures sont douées d’une plus grande capacité de sentir et d’une richesse intérieure qui les prémunissent de l’ennui. Il postule que c’est une chose innée, mais je ne souscris pas complètement à cette vision essentialiste.
Se distraire sans se vider de l’intérieur
Malgré tout, l’idée que la qualité de notre conscience détermine notre aptitude à jouir de divertissements plus élevés mérite notre attention. D’autant plus qu’on peut argumenter, comme il le dit en partie, que cette conscience peut être nourrie et portée à maturation par des habitudes saines et un choix éclairé de nos divertissements. Schopenhauer apporte en effet une attention particulière à la qualité des loisirs, il avance que les jouissances de l’esprit sont plus durables. Ce point n’est pas difficile à démontrer : après avoir regardé un petit bijoux de l’art cinématographique, on se sent durablement élevé, alors qu’après un marathon de télé-réalité on se sent généralement vidé de l’intérieur et quelque peu abruti.
Après, je doute que beaucoup d’entre nous puissent se défaire complètement des passe-temps dits vulgaires par Schopenhauer. Ce sont des vacances de l’esprit, des décontractions de l’intelligence bien méritées les jours où l’on se sent trop fatigués ou aigris. Le tout est de trouver un équilibre, de ne pas se laisser aller à ses désirs primaires d’absurdité et de plaisir facile, pour améliorer durablement la qualité de sa conscience et s’ennuyer de moins en moins.
Pour fuir l’ennui, embrassez votre nature
Un autre moyen de se prémunir de l’ennui selon Schopenhauer, c’est de ne faire que ce qui est en accord avec notre nature. En effet, comme nous sommes quand même nés avec des prédispositions individuelles, ce que nous pouvons faire de mieux c’est « d’employer cette personnalité, telle qu’elle nous a été donnée, à notre plus grand profit; par suite, ne poursuivre que les aspirations qui lui correspondent ne rechercher que le développement qui lui est approprié en évitant tout autre, ne choisir, par conséquent, que l’état, l’occupation, le genre de vie qui lui conviennent. »
Il est clair qu’un tempérament d’artiste qui se résigne à une carrière de comptable vivra de longues heures d’ennui. De même, un esprit cartésien qui se force à des métiers créatifs aura toujours l’impression de passer à côté de sa vocation. Le fait est que, la vie est longue. L’activité principale que nous choisissons de pratiquer occupera la plus belle tranche de notre vie, et plus elle sera en accord avec notre nature, moins nous serons sujets à l’ennui.
Mais enfin, choisissons-nous vraiment de faire ce qui nous enchante? Schopenhauer offre peu de réflexions sur les conditions matérielles qui conditionnent notre accès à une vie de loisirs et de passion. Pourtant, pour vivre comme on l’entend et jouir des jeux de l’esprit, il faut d’abord avoir « une chambre à soi » comme l’explique Virginia Woolf : c’est-à-dire les ressources financière, l’espace et le temps de se donner libre cours à son talent. Ce qui n’était certainement pas le privilège de toutes les femmes à l’époque de Schopenhauer, et ce qui reste aujourd’hui de plus en plus inaccessibles à un grand nombre de gens alors que l’insécurité économique ne cesse de grimper et que jouir de son chez soi devient de plus en plus un privilège difficile à atteindre.
Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena, traduction de J.-A. Cantacuzène, éditeur Félix Alcan, 1887, 264 pages.
Virginia Woolf, Une chambre à soi, traduction de Clara Malraux, éditions 10X18, 2001, 176 pages.
Je ne sais pas, mais je partage avec notre cher Arthur l’idée entre l’ennui et la personnalité de chacun. C’est vrai que le vide intérieur est fort propice à l’emergence de ce poison existentiel qu’est l’ennui. Ça ne peut que produire une personne ennuyée et… ennuyeuse.
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Pour moi, dans une société matérialiste et obtuse comme la notre,quand il n’y a plus à lutter pour la subsistance et la sécurité matérielle, l’ennui nous guette. d’aucuns me proposent l’art , la culture ou la politique. Mais à mon avis ce sont des pis-aller imposés par la culture de la monogamie. Pour moi, le seul remède à l’ennui est de redevenir amoureux , mais cela nécessite de jeter aux orties l’obligation morale de fidélité qui est le pire corset d’une âme sincèrement motivée par l’amour et la liberté.
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J’ai toujours trouvé dommage que Schopenhauer ait été éclipsé par Hegel au regard de l’histoire car effectivement, son œuvre regorge de lectures passionnantes et, effectivement, non-ésotériques (au contraire d’Hegel pour lequel il faut une bonne dose de masochisme intellectuel).
Je vous glisse comme ça qu’il n’est pas du tout nécessaire d’avoir lu Kant pour apprécier Le Monde comme Volonté et comme représentation. Cela ne fait que contextualiser l’œuvre et expliciter l’origine des raisonnements qui la traverse mais autrement, le Monde est parfaitement autoportant.
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Merci pour la petite astuce. Je suis sûre que je lirai Le monde à l’avenir, je suis entrain d’étudier les classiques de la philosophie, petit à petit. Je ne sais pas si je m’attaquerai à Hegel par contre, je n’aime pas souffrir.
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